La plus ancienne description d’une compétition d’escrime est un bas-relief du temple de Médinet Habou, près de Louxor en Égypte, construit par Ramsès III en 1190 av. J.-C. Les armes sont mouchetées, un bouclier attaché au bras gauche sert à parer, les escrimeurs sont protégés par un masque, une mentonnière et une protection pour les oreilles. Le vainqueur salue de son arme et de la main le pharaon qu’accompagne sa suite. Un scribe note sur un papyrus les résultats de la compétition.
Plus tard on retrouve « L’escrime » grecque, on y utilise un glaive en bronze nommé xiphos, qui ressemble plus à un long poignard qu’à une épée au sens où nous l’entendons aujourd’hui. C’est une arme essentiellement d’estoc.
Rome va faire du glaive l’armement principal de ses légions. Le légionnaire est un soldat discipliné, calme, rationnel qui sort son glaive d’un geste vif pour transpercer d’un seul coup l’adversaire qui se précipite sur lui.
Dans l’Occident latin, les Francs, les Angles, les Goths et les Saxons imposent l’usage d’épées de taille et de boucliers ronds propices à des combats plus longs, plus élaborés et moins meurtriers que le glaive romain.
L’épée devient la compagne la plus sûre de tout homme désirant survivre à un voyage ou à un pillage. C’est le temps du roi Arthur, des chevaliers de la Table ronde, de Tristan et Iseult…
Moyen Âge : les premiers « maistres d’armoys »
C’est durant le siècle de Saint Louis qu’apparaissent dans les écrits les premiers maîtres d’armes professionnels. On reconnaît que manier l’épée nécessite un enseignement à la fois théorique et pratique, et cet enseignement est recherché par la noblesse, qui risque fréquemment sa vie sur le champ de bataille, et qui est la seule à pouvoir prétendre à la possession d’une belle épée de qualité.
Au même moment, les écoles d’escrime attirent la frange criminelle de la société cherchant à maîtriser l’usage des armes. Le seul moyen pour la société de s’attaquer à ce problème est de rendre ces écoles illégales. En 1286, à Londres, le roi Édouard Ier émet un édit interdisant l’enseignement des techniques d’escrime. Malgré de tels décrets, les écoles d’escrime fleurissent.
L’escrime médiévale étonne surtout par la richesse de son répertoire, contrairement aux idées reçues qui ne laissent place dans l’imaginaire contemporain qu’à des épées énormes et des boucliers lourds et encombrants en acier.
Les Traités d’Escrime germaniques, les maîtres italiens et les « fencing school » d’Angleterre
Des Fechtbücher (Traités d’escrime, en allemand) ont été écrits du XIVe et XVIe siècles par plusieurs maîtres germaniques ; les plus célèbres sont Johannes Liechtenauer, le maître incontesté du XIVe siècle, et Hans Talhoffer, maître suisse au XVe siècle. Des écoles de maniement des armes, privées en relations plus ou moins constantes les unes avec les autres, apparaissent çà et là dans le Saint-Empire romain germanique : à Zurich, à Bâle, à Ratisbonne, et dans un grand nombre de villes libres d’Allemagne. On y enseigne l’escrime médiévale classique.
C’est en Italie que de nouveaux maîtres, inventifs et avant-gardistes, font leur apparition dans la pré-Renaissance au tournant des XIVe et XVe siècles : notamment le célèbre Fiore dei Liberi (1350-1420), courtisan du duc d’Este. Fiore dei Liberi publie en 1410 un traité d’escrime qui va progressivement uniformiser à l’échelle européenne le maniement des armes : il s’agit de son unique œuvre, le Flos Duellatorum. Il est considéré comme le fondateur de l’école italienne.
En Angleterre au XIVe siècle, sous le règne d’Édouard III, la création de confréries d’archers maniant l’arc long avaient été fortement encouragées par le pouvoir : le but était de pouvoir compter sur des archers nombreux et expérimentés dans la guerre qui s’annonçait avec la France. Mais après la défaite anglaise à Castillon qui met fin à la guerre de Cent Ans en 1453, le pays sombre dans une dramatique guerre civile : la guerre des Deux-Roses. Pour se défendre contre une insécurité montante, de nombreuses écoles d’escrime (fencing school en anglais) ouvrent leurs portes de façon plus ou moins clandestines aux jeunes hommes d’Angleterre. Le fonctionnement de ces fencing schools est resté de nos jours assez obscur, car la plupart d’entre elles avaient mauvaise réputation et passaient pour former des brigands et des jeunes gens sans scrupules au maniement des armes.
XVe siècle et Renaissance : la rapière
L’escrime connaît sa première révolution avec l’invention de la rapière. Cette arme, exceptionnelle pour son époque à tous les points de vue, va complètement transformer l’approche de la discipline. C’est le premier pas vers une escrime de loisir : il s’agit des premiers concours et compétitions d’escrime, qui prennent la suite des anciens tournois pour une noblesse qui voit les derniers feux de la chevalerie.
Le Traité sur les armes, de Diego de Valera, écrit entre 1458 et 1471, marque la naissance de l’escrime en tant qu’art scientifique. Quelques années plus tard, au moment où l’Espagne est la première puissance de l’Europe, les armées espagnoles répandent l’escrime à l’étranger et particulièrement au sud de l’Italie. À cette époque, l’escrime se développe également au nord de l’Italie où elle est étudiée à côté du droit dans les universités. De tels centres culturels, comme Bologne ou Venise, attirent des étudiants de toutes les nations européennes. En particulier, le style d’escrime pratiqué dans la ville de Bologne a eu une influence fondamentale sur l’escrime pratiquée en Europe au début du XVIe siècle.
La fondation des écoles anglaises et françaises sous les règnes d’Henri VIII et de Charles IX
En Allemagne, et ce dès le XVe siècle, les maîtres d’armes se constituent en guildes, dont la plus connue est celle des Marxbrüder, ou associés de saint Marc de Löwenberg, dont le quartier général situé à Francfort, forme des branches dans plusieurs autres villes. De façon similaire, les épéistes professionnels forment des associations légales en Espagne et dans le nord de l’Italie.
En Angleterre, Henri VIII, un amateur d’exercices virils, octroie aux épéistes l’autorisation de former une compagnie imitant l’association mondialement connue des Marxbrüder. Ils se voient ainsi attribuer le lucratif monopole de l’apprentissage de l’art du combat en Angleterre.
En France, le roi Charles IX autorise en 1567 les maîtres d’armes à se réunir en une association qualifiée d’« Académie des Maîstres en faits d’armes »
Le duel au sens moderne était une chose peu commune avant le XVIe siècle. Il apparaît pour la première fois en France, et c’est dans ce pays qu’il aura le plus de succès. Les raisons à cela sont liées à la société française et au caractère national. Pour Buckle, le duel est un développement de la chevalerie, et cette dernière est une des phases de l’esprit protecteur dominant en France jusqu’à la Révolution.
Henri IV commence son règne par un édit contre les duels, mais il est réputé pour les favoriser en privé. Lorsque le maréchal de Créquy demande à se retirer pour combattre le don Philippe de Savoie, le roi lui aurait répondu : « Vas, et si je n’étais le roi, j’aurais été ton témoin ». Dans ses Mémoires, Fontenay-Mareuil prétend que deux mille hommes de naissance noble sont tombés au cours de duels entre 1601 et 1609.
Sous le long règne de Louis XIV, de célèbres duels se produisent, dont les plus remarquables sont celui confrontant le duc de Guise au comte de Coligny, le dernier duel effectué sur la place Royale, ainsi que celui confrontant le duc de Beaufort au duc de Nemours, tous les deux assistés de quatre amis. De ces dix combattants, Nemours et deux autres sont tués sur place, et aucun n’échappe du combat sans blessure.
Les privilèges de l’Académie des maîtres d’armes sont confirmés par les rois de France, Henry III, Henry IV, Louis XIII et sont augmentés sous Louis XIV. Pour exprimer la haute estime en laquelle il tient la profession de maître d’armes, ce dernier anoblit un certain nombre de maîtres avec des titres héréditaires.
Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, à la cour du roi Louis XIV, l’épée se modifie sous l’influence de la tenue vestimentaire. Comme la rapière, longue et effilée, ne convient plus à cette forme d’habillement, la mode introduit la courte et légère épée de cour. Le style français s’impose ainsi en Europe comme auparavant le style italien. Les coups sont uniquement portés avec la pointe et la lame sert à la défense.
Ce qui se nomme aujourd’hui escrime émerge tandis que le style français remplace le style italien. Pour minimiser les risques de blessure, des conventions vont réglementer l’escrime à l’épée, ou son homologue d’exercice, le fleuret. La lame de cette dernière, sorte d’épée d’étude et d’entraînement, se termine par un bouton, comme une fleur, d’où le nom de fleuret attribué à cette arme. Les coups valides sont réduits à certaines parties du corps, et au bretteur qui initie l’assaut est accordé un « droit de passage » lui donnant le droit de terminer son mouvement, à moins qu’il ne soit efficacement paré, avant que l’adversaire ne puisse riposter.
L’escrime est pratiquée à l’origine sans aucune protection pour le visage. Les masques grillagés seront inventés en 1780 par un célèbre maître d’armes, La Boëssière, et ne seront utilisés communément que beaucoup plus tard. Par conséquent, afin d’éviter des accidents dangereux au visage, l’étiquette rigoureuse de la salle d’escrime établissait depuis fort longtemps le fait de garder la pointe basse. Au XVIIe siècle, un aristocrate écossais, coupable de l’assassinat d’un maître d’armes en représailles d’un éborgnage au cours d’un duel d’escrime, plaide au cours de son procès que la coutume veut qu’on « épargne le visage ». Pour une plus grande sécurité, la convention estime que seuls les coups à la poitrine comptent lors d’un combat. De fait, le maniement de l’épée devient impraticable et perd de sa valeur en tant qu’entraînement à la guerre ou au duel. Curieusement, quand le port du masque devient une pratique générale, et à la suite de l’invention du fleuret, la pratique de l’escrime devient encore plus conventionnelle.
Au XVIIIe siècle, l’escrime tient une place importante dans l’éducation de la noblesse. Elle fait partie, avec la danse et l’équitation, des arts permettant de fortifier le corps, et, à l’instar de la chasse, de préparer à la guerre. L’École royale militaire (1751-1777), ainsi que les collèges militaires donnent au maniement des armes une place de choix dans l’entrainement militaire. Dès le jeune âge, les enfants de la noblesse parlementaire portent l’épée et apprennent à l’utiliser. Dans l’armée, les hommes de troupe pratiquent également l’escrime, sous la direction d’un maître d’armes. En 1788, les membres parisiens de la corporation des maîtres d’armes fondent l’École royale d’armes. Mais la loi du 17 mars 1791 met fin à toutes les corporations, dont celle des maîtres d’armes. Sous le Premier Empire, la pratique de l’escrime est largement répandue dans l’armée, où chaque régiment a son maître d’armes. Facultative en 1815, l’escrime est de nouveau obligatoire dans l’armée en 1824, puis redevient facultative en 1834. Sous la Restauration, la liberté d’installation permet à de nombreux vétérans de l’armée d’ouvrir leur propre salle d’escrime. L’escrime jouit d’un certain prestige dans la société de l’époque. Des écrivains, comme Alexandre Dumas ou Théophile Gautier viennent prendre des leçons auprès d’un maître parisien. La capitale offre également des salles mises à la disposition des amateurs, où des assauts publics sont parfois organisés.
Au cours du XIXe siècle, la pratique de la Mensur connait dans les universités allemandes une évolution remarquable. Cela consiste à un combat d’escrime avec des armes réelles. Ces combats sont strictement réglementés. Seuls les membres de deux différentes associations d’étudiant peuvent pratiquer ces combats.
Les parties vitales des combattants sont protégées avec de la cotte de mailles, du cuir ou du kevlar Ces duels s’effectuent par convention entre membres de différentes corporations. Ils s’effectuent soit au dehors, soit dans une taverne ou une maison d’étudiant. Les combattants sont protégés par un masque grillagé ou de cuir, une bande autour du cou, des gants de cuir et des lunettes spéciales. Il est interdit de jouter d’estoc, et la tradition recommande de frapper de taille. À partir des années 1850, le duel constitue de plus en plus sa propre fin. Les corporations se tiennent rendez-vous dans un endroit convenu, et il est rare que cette réunion n’ait pas une issue sanglante. Un arrêt de 1883 met fin pénalement à la Mensur entre étudiants, mais l’empereur Guillaume Ier encourage cette pratique ouvertement. Ainsi, bien que le duel soit interdit, plusieurs officiers sont dégradés pour avoir refusé de se battre. Au début du siècle, plusieurs associations d’étudiants s’élèvent contre la pratique du duel, et la Mensur perd peu à peu le caractère sanglant de ses débuts.
Création de la Société d’encouragement à l’escrime, premiers jeux Olympiques
L’escrime connait un regain de faveur à la fin du second Empire et surtout après 1870. En 1869, Napoléon III réinstaure l’instruction obligatoire de l’escrime aux soldats. En 1877, un règlement complet prévoit de rendre l’escrime à l’épée obligatoire dans la cavalerie et l’infanterie, et l’escrime au sabre obligatoire dans la cavalerie et facultative dans l’infanterie. Les années 1880 marquent aussi le retour des duels dans la société. La revue Escrime française mentionne de nombreux duels entre députés et journalistes.
En 1882, est fondée la Société d’encouragement à l’escrime. Les salles d’armes fleurissent à Paris et en province, et les maîtres d’armes convertissent leur salles en « cercles d’escrime » avec une véritable organisation. La pratique de l’escrime apparaît comme une œuvre patriotique permettant de régénérer la nation par son éducation virile.
La complexité de l’escrime au fleuret pratiquée dans les conditions idéales de la salle d’armes, produit un art d’un intérêt remarquable. Cependant les nécessités toujours actuelles du combat en duel font peu de cas de ce jeu d’école. L’épée, longtemps délaissée au profit du fleuret dans les salles d’armes, retrouve un regain d’intérêt chez les nobles et la haute bourgeoisie à la fin du XIXe siècle. L’épée était une arme de duel réglementaire et était utilisée sans conventions. L’épée de salle devient alors une arme régulière de compétition, et est utilisée sans limitations de règles hormis le port de vêtements de protection, se rapprochant ainsi des conditions réelles du duel.
Cependant le maniement des armes est d’abord un moyen de se défendre, et les multiples manuels sur le duel publiés après 1870 sont l’émanation directe des cercles d’escrime. Dans les salles d’armes, à côté des amateurs qui se livrent à l’assaut au fleuret, le maître d’armes met en condition celui qui doit régler un duel à l’épée. Néanmoins l’apprentissage de l’épée vise à protéger aussi bien le duelliste que son adversaire. Le but n’est pas de tuer mais de mettre son adversaire hors de combat.
L’escrime devient un sport de compétition à la fin du XIXe siècle. Vers 1890, on commence à parler d’escrime sportive. En avril 1891, un assaut au fleuret entre Louis Mérignac et Eugénio Pini est remporté par le Français qui est alors surnommé le « Grand Patron ». En 1895, le journal l’Escrime Française organise un tournoi entre quatre Italiens et quatre Français. L’escrime masculine devient une épreuve des Jeux olympiques en 1896. L’Amateur Fencing Association est créée en 1902 en Grande-Bretagne, puis la Fédération des Salles d’Armes et Sociétés d’Escrime en France en 1906. Lors des jeux de 1912, la France et l’Italie refusent de participer aux épreuves à la suite d’un désaccord sur le règlement. En conséquence, la Fédération Internationale d’Escrime est fondée en 1913. Elle devient l’organe directeur de l’escrime internationale pour les amateurs, à la fois aux Jeux olympiques et lors des championnats du monde.
L’escrime que nous connaissons est né.
Sources :
Histoire de l’escrime, le temps des barbares, sur escrime-ffe.fr
Me Gérard Six, « Histoire de l’escrime », Fédération Internationale d’Escrime
« Fencing », Encyclopædia Britannica, 2010.
« A Short History of Fencing », taken from The Theory and Practice of Fencing by Julio Martinex Castello (1933)
« Fencing », Encyclopædia Britannica, Eleventh Edition, 1910.
« Escrime », Encyclopédie Larousse en ligne.
« Duel », Encyclopædia Britannica, Eleventh Edition, 1910.
François Guillet, La Mort en face ; Histoire du duel en France de la Révolution à nos jours, Aubier, 2008
« A Short History of Ancient Fencing ».
« Épée-de-combat », Encyclopædia Britannica, Eleventh Edition, 1910.
Franz Wissant, « La Mensur, rituel sanglant des « Waffenstudenten » », 2011
Monique De Saint Martin, « La noblesse et les « sports » nobles », Actes de la recherche en sciences sociales, n°80, 1989, p. 25-26
Nick Evangelista, The Encyclopedia of the Sword, Greenwood Press, Westport, 1995 p. 301; 501